Les interviews des salarié-es, confiné-es ou non #3

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Aujourd’hui, vendredi 27 mars, 11ème jour de confinement, un enseignant de collège, syndiqué à SUD répond à nos questions sur l’enseignement à distance, et sur les conséquences du confinement sur l’éducation en Seine-Saint-Denis.

On entend beaucoup parler dans les médias de l’enseignement à distance et du suivi des élèves, côté enseignant·e·s, quelles sont les consignes reçues du Ministère de l’éducation nationale et des collèges ?

Le Ministre a demandé de ne plus se déplacer dans les établissements et de faire les réunions à distance, tout en disant que des volontaires doivent être présent·e·s pour accueillir les enfants des soignant·e·s. Nos chef·fe·s d’établissements nous ont envoyé des mails disant d’envoyer du travail aux élèves via les Espaces Numériques de Travail, c’est ce que le ministère appelle la « continuité pédagogique ».

C’est quoi un Espace Numérique de Travail (ENT) ? Comment ça fonctionne ?

C’est un site internet sur lequel on est censé·e·s, tout au long de l’année, échanger avec les élèves et les parents. On doit mettre dessus le résumé des séances de cours et les devoirs à la maison. Les ENT posent deux problèmes, même en temps normal : le premier, c’est celui de la fracture numérique. Autant la plupart des nos élèves ont accès à un smartphone, autant les ENT fonctionnent mal sur téléphone, donc les élèves n’y ont pas accès. Ils et elles n’ont souvent pas d’ordinateur, ou alors il y en a un par foyer, pas forcément à jour, et à utiliser par tous les membres de la famille. Le second problème c’est le contrôle de la hiérarchie sur notre travail : les chef·fe·s voient ce qu’on fait et peuvent mettre des coups de pression aux collègues qui, pour une raison ou une autre, ne télétravaillent pas pendant le confinement. En plus, l’ENT des collèges de Seine Saint Denis, tenu par le Conseil Départemental, n’est pas adapté pour la situation actuelle, car il ne supporte pas la charge du nombre de connexions. Il a subi d’énormes bugs qui n’étaient pas résolus à la fin de la première semaine. Donc non seulement les ENT ne sont pas toujours accessibles par nos élèves, mais avec le confinement, ça marche encore moins bien.

Comment se débrouillent les enseignant·e·s dans ces conditions ?

Chacun·e essaie de faire sa tambouille. Certain·e·s refusent de faire cette transmission de travail tout court, car le télétravail n’est pas obligatoire pour les enseignant·e·s. D’autres refusent de la faire si l’ENT ne marche pas, à l’inverse il y a des collègues qui essaient de passer par d’autres fournisseurs, d’autres types de réseaux sociaux. Certain·e·s passent par mail, téléphonent aux familles, envoient des SMS, ou utilisent les applications de messagerie comme Snapchat, Whatsapp, Instagram, Twitch, pour communiquer avec les élèves. Contrairement aux déclarations de la porte-parole du gouvernement, les collègues travaillent énormément. Ils et elles veulent tout·e·s faire au mieux pour les élèves mais ce n’est pas cela notre métier, l’enseignement à distance ne remplacera pas pour les élèves la présence des adultes, qui les accompagnent dans leurs apprentissages pédagogiques, sociaux et émotionnels…

Comment les élèves ont réagi à la suspension des cours ?

Les réactions sont variées, et on n’a pas accès à tou·te·s les élèves, mais ce qui est sûr c’est qu’il y a une grosse inquiétude des élèves, qui sentent que ce n’est pas les vacances. Ce n’est pas que la suspension des cours, c’est aussi l’ensemble du confinement, qui créé un climat anxiogène. Ils et elles sont aussi inquiet·e·s de voir qu’il y a des cours qui se font à distance, et ont peur de ne pas comprendre, de ne pas réussir à suivre seul·e·s chez eux. C’est une vraie question des enseignements à distance : les élèves se sentent mis·e·s en échec quand ils et elles n’y arrivent pas, et n’ont pas accès aux enseignant·es pour arriver à se débloquer. En même temps, les matières où il n’y a pas de travail donné peuvent aussi générer de l’inquiétude, avec la peur de ne pas assez bien avancer, notamment dans les classes où il y a un enjeu d’examen. Le fait que le Ministre n’ait pas pris position sur le déroulement des examens de fin d’année est une source de stress supplémentaire.

Quelle est la situation des familles ? Les élèves sont seul·e·s chez eux ?

Les cas varient. Il y a encore certains parents qui travaillent, peut-être que c’est lié à la situation du 93. Un certain nombre de parents n’ont pas des emplois où ils peuvent faire du télétravail. Même quand les parents sont là il est difficile pour elles et eux de s’improviser enseignant·e·s. Et par ailleurs, beaucoup d’élèves vivent dans des logements trop petits pour le nombre de personnes qui y vit. Ils et elles n’ont pas souvent pas d’espace de bureau au calme. On l’entend quand on téléphone aux élèves pour traiter de questions pédagogiques.

Quelles sont les conseils du syndicat dans la période actuelle ?

Le syndicat est là pour aider les personnels à connaître leurs droits et à les faire respecter en interpellant la hiérarchie quand ce n’est pas le cas. Par exemple pour ce qui est du télétravail, rappeler qu’il ne peut pas être imposé et qu’on ne doit pas attendre des collègues qu’ils et elles se connectent au delà de leurs obligations réglementaires de service. Il n’y a pas non plus à donner les données personnelles, comme son adresse mail perso, son numéro perso : on peut le faire, mais on n’est pas obligé-e-s. On n’est pas obligé·es de se rendre sur nos lieux de travail, ce qui nous mettrait en difficulté par rapport au confinement.

Qu’est-ce qui pourrait être fait pour améliorer la situation à court terme ?

Il va falloir que des décision soient prises vite quant aux examens. On demande toujours le retrait de la réforme du baccalauréat, donc il faut abandonner les épreuves communes de contrôle continu (E3C) pour les élèves de première. Une session devait avoir lieu en mai, dans le contexte actuel, elle doit être annulée. Des garanties doivent être apportées aux élèves que les examens ne porteront pas sur le travail qui aurait du être fait pendant la période de fermeture des établissements. Pas de pression sur le télétravail des enseignant·e·s. Et enfin, on demande du matériel de protection pour toutes les personnes qui travaillent au contact d’enfants de soignant·e·s.


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