QUAND L’URSSAF FRAUDE LA SOLIDARITÉ NATIONALE

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Article de L’humanité sur la lutte menée par SUD CPAM 93.

QUAND L’URSSAF FRAUDE LA SOLIDARITÉ NATIONALE

Jeudi, 5 Juillet, 2018

 

Votre révélation. Sud protection sociale 93, Seine-saint-Denis. Le syndicat de salariés francilien nous a contacté pour nous informer qu’il avait porté plainte contre l’Urssaf (Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales) d’Île-de-France et la CPAM (caisse primaire d’assurance maladie) de Seine-Saint-Denis, organismes qui ont omis de rémunérer les heures supplémentaires de leurs agents pendant des années. Un système d’évitement social qui dépasserait les frontières de l’Île-de-France.

C’est un peu l’histoire du pompier pyromane. L’Urssaf (Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales) d’Île-de-France, organisme chargé de lutter contre la fraude aux cotisations sociales, pratique depuis des années du travail dissimulé à grande échelle, réussissant le tour de force de réaliser des économies tout en se lésant d’autre part. Et ce alors que la lutte contre le travail illégal est présentée comme l’une des grandes priorités du gouvernement (lire ci-contre). D’après une plainte déposée début mai par le syndicat SUD protection sociale de Seine-Saint-Denis à l’encontre de l’opérateur de recouvrement de cotisations sociales, ce sont 79 499 heures supplémentaires que l’Urssaf d’Île-de-France n’aurait pas réglées à ses salariés entre 2014 et 2016. « À la fin de l’année, les heures supplémentaires qui apparaissaient sur le bulletin de paie des agents étaient tout simplement effacées », explique un salarié de l’Urssaf francilienne qui souhaite rester anonyme.

18 000 heures supplémentaires non rémunérées

Interpellée par les syndicats sur cette question, la direction de l’organisme a certes fini par régulariser partiellement ces heures entre fin 2016 et début 2017 sur instruction de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui gère au niveau national les Urssaf régionales. Mais « sans toutefois que les salariés bénéficient des majorations légales à ce titre ou de contreparties majorées », accuse l’avocat de SUD protection sociale Seine-Saint-Denis, Me David Libeskind, dans la plainte déposée auprès du procureur de la République de Bobigny.

Pour le conseil du syndicat, l’infraction de travail dissimulé est d’autant plus manifeste que l’Urssaf d’Île-de-France aurait en outre omis d’informer le comité d’entreprise sur le contingent d’heures supplémentaires effectuées. Ce qui relève également pour Me Libeskind du délit d’entrave aux institutions représentatives du personnel. Pire, l’organisme de région parisienne aurait continué à laisser ses salariés effectuer des heures supplémentaires en 2017 et 2018, malgré des engagements pris en comité d’entreprise fin 2016 pour respecter la durée de travail légal. Lors de la réunion des délégués du personnel de l’organisme de février 2018, la direction reconnaissait elle-même que près de 18 000 heures supplémentaires non rémunérées avaient été travaillées par ses agents entre janvier et décembre 2017. Dans un autre tableau fourni aux représentants du personnel, le service des ressources humaines ­reconnaît en outre 2 127 heures illégales pour les mois de janvier et février 2018. D’après SUD, plus de 6 000 heures auraient ainsi été écrêtées entre janvier et avril 2018. Dans le détail, ce sont entre une centaine et plus de deux cents agents chaque mois qui ont donné quotidiennement des heures de travail gratuites à leur employeur, d’après les documents de l’Urssaf. Des dizaines d’autres effectuant des dépassements d’horaire à une fréquence hebdomadaire ou mensuelle. Au total, ce sont plus de 2 000 salariés qui seraient concernés, si l’on en croit les propos du directeur général adjoint de l’époque tenus lors d’un comité d’entreprise le 15 novembre 2016.

Un système d’évitement social qui dépasse les frontières de l’Urssaf d’Île-de-France. En juillet 2017, une salariée de l’Urssaf de ­Bretagne obtenait par exemple gain de cause devant les prud’hommes de Rennes, en récupérant 150 000 euros au titre de 240 heures supplémentaires non payées ainsi que des dommages et intérêts. Contactées à plusieurs reprises, l’Urssaf d’Île-de-France et l’Acoss ont simplement expliqué ne pas commenter les procédures en cours.

Si le silence est de mise à l’extérieur, en interne, la direction de l’Urssaf d’Île-de-France s’est adressée à ses salariés pour tenter d’endiguer le phénomène, mais de manière « culpabilisante », estime un agent de l’organisme. « La souplesse des horaires variables ne doit en aucun cas se traduire par des pratiques contraires aux protocoles d’accord ainsi qu’aux dispositions légales, et vous demande à l’avenir de bien vouloir organiser votre temps de travail, en lien avec votre responsable hiérarchique, de manière à pouvoir respecter les règles en ­vigueur », tançait ainsi un responsable des ressources humaines par courrier adressé individuellement à un salarié fin 2016. Une manière de rejeter la faute sur les salariés qui fait bondir cet agent de l’Urssaf. « En 1999, on était plus de 3 200 salariés – et c’était avant la fusion avec la caisse de Seine-et-Marne. Fin 2017, on n’était plus que 2 613. Et la charge de travail ne fait qu’augmenter : on a récupéré le recouvrement des cotisations chômage et AGS en 2012, le RSI est dans les tuyaux, il est prévu qu’on gère les cotisations pour la formation professionnelle… On sait que l’État veut faire de l’Urssaf le collecteur unique, mais les effectifs ne suivent pas ! », dénonce-t-il. « Tous les ans, on nous dit qu’il faut augmenter le nombre de contrôles et de redressements. La satisfaction de ces objectifs détermine le niveau de la prime d’intéressement », explique-t-il. Le montant de cette prime avoisinait les 700 euros en 2017. Pas de quoi combler le manque à gagner des heures supplémentaires non payées. « Nos barèmes de salaire commencent en dessous du Smic, on a des collègues qui dorment dans leur voiture parce qu’un loyer à Paris est inabordable avec ce genre de salaires », se révolte ce même agent.

Problématique similaire à la caisse primaire d’assurance-maladie du 93

Et le problème déborde l’enceinte des Urssaf puisque SUD protection sociale de Seine-Saint-Denis a également porté plainte contre la caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) de Seine-Saint-Denis, début mai 2017, pour une problématique similaire. Dans une note interne du 13 avril 2018, le directeur général de la CPAM dionysienne admettait que 21 579 heures supplémentaires avaient été effectuées entre 2014 et 2017 par 853 salariés, consentant par la même occasion à restituer celles-ci sur les compteurs des agents. Une décision sans doute motivée par le risque juridique que représente la plainte de SUD. Car au cours d’échanges antérieurs avec les représentants du personnel en comité d’entreprise et en réunion de délégués du personnel, en février 2017, la direction de la caisse avait refusé par deux fois le règlement de ces heures. « Désormais, la direction fait la chasse aux compteurs. On reçoit des alertes sur nos ordinateurs à 18 h 15 pour nous dire que nos écrans vont s’éteindre mais, en réalité, les gens peuvent quand même continuer à travailler », affirme Sylvain Dequivre, secrétaire général de SUD protection sociale 93 et élu du personnel à la CPAM 93. « Les agents ne font pas des heures sup pour le plaisir, mais on est passé de 2 600 salariés il y a vingt ans à environ 1 400 aujourd’hui. Certains salariés doivent gérer 300 assurés par jour et fermer leurs portes à 19 heures », insiste-t-il, mentionnant des cas de burn-out, selon lui de plus en plus fréquents.

Ce qui révolte le plus le syndicaliste, c’est que la CPAM se montre beaucoup moins tolérante envers les salariés qui présentent un solde d’heures négatif. « Quatre de nos collègues doivent passer en conseil de discipline pour ne pas avoir été présents à leur poste à un moment où ils étaient censés travailler et la direction veut les licencier pour faute grave », explique-t-il. Preuve que ce phénomène n’est pas isolé, SUD protection sociale 77 s’apprête à déposer une plainte analogue à l’encontre de la CPAM de Seine-et-Marne. Une procédure concernant la caisse d’allocations ­familiales du 93 est également à l’étude. Contactée par courriel, la Caisse nationale de l’assurance-maladie n’a pas souhaité commenter la procédure en cours. Par ailleurs, aucun des deux ministères de tutelle – ministère des Solidarités et de la Santé et ministère de l’Action et des Comptes publics – n’a retourné nos demandes d’entretien.

Loan Nguyen
Pour suivre SUD CPAM 93 :

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