Face à la propagande des directions des universités, Solidaires 93 publie une lettre des occupant-e-s de l’EHESS sur le campus d’Aubervilliers (93). Nous dénonçons de nouveau l’attitude des directions qui empêchent les étudiant-e-s de se réunir pour leurs revendications et leurs luttes. Solidaires 93 reste attaché et défend l’idée d’université comme lieu de conscientisation des étudiant-e-s, notamment les plus jeunes – sous les formes qu’ils se choisissent.
Nous, étudiant·es, travailleureuses, chômeureuses, avons occupé le bâtiment de l’EHESS (fac de
sciences sociales), 2 cours des humanités à Aubervilliers, du mercredi 20 avril au samedi 23 avril
2022. Nous nous sommes réuni·es suite à l’évacuation, nous continuons la lutte, et nous souhaitons
revenir sur le sens qu’a pour nous ce mouvement.
Nous rappelons que suite à l’évacuation policière de la Sorbonne et à la fermeture préventive de différentes facs au moindre soupçon d’AG, nous nous sommes à notre tour rassemblé·es à l’EHESS le 20 avril 2022 dans le contexte d’un entre-deux tours qui nous mettait face à un non-choix entre le Rassemblement National et sa candidate Marine Le Pen porteur d’un projet fasciste, et de Macron dont le quinquennat a été synonyme d’une violente répression des mouvements sociaux, d’une casse des services publics, d’un saccage écologique, d’un renforcement des inégalités sociales et économiques, bref de l’affirmation d’un néolibéralisme de plus en plus autoritaire. Un mouvement social, notamment étudiant et lycéen, a émergé pour s’organiser politiquement face à ce qui s’annonçait comme une confiscation de notre avenir. Nos peurs se sont d’ailleurs concrétisées avant-hier soir puisque la candidate du Rassemblement National a obtenu 41,5% des suffrages soit 13 millions de voix, score alarmant qui confirme la montée en puissance de l’extrême-droite dans les urnes et dans la rue, et que Macron a été réélu, ce qui nous contraint à un nouveau quinquennat autoritaire.
Ce qui réunit les deux candidat·es, c’est un rapport extrêmement autoritaire au maintien de l’ordre dont la répression des manifestations au soir de l’annonce des résultats (contrôles d’identité, arrestations préventives et nasse des rassemblements qui commençaient à se constituer) est l’expression. Le premier soir du second quinquennat de Macron annonce le futur et s’inscrit dans la continuité des lois répressives passées (telles que la loi sécurité globale et la loi séparatisme), des politiques répressives dans le cadre de la gestion du covid et de la destruction systématique de tous les conquis sociaux – destruction que ces lois répressives viennent asseoir.
Loin d’être un lieu ouvert, le campus Condorcet, qui est un partenariat public-privé, s’inscrit dans ces logiques néolibérales et sécuritaires. C’est un grand projet de spéculation immobilière, de gentrification et d’éloignement des classes populaires. Sur le campus Condorcet, les personnels de la bibliothèque étudiante reçoivent des formations de « sensibilisation à la sureté » les incitant à l’identification et au signalement d’individus soi-disant « radicalisés » sur la base de critères tels que les « changements physiques, vestimentaires et alimentaires », le « rejet de l’autorité et de la vie en collectivité », le « rejet de la société et de ses institutions (école, etc) », le « passage soudain à une pratique religieuse hyper ritualisée » – critères qui s’ancrent dans une politique ultra-sécuritaire et islamophobe qui cible des populations musulmanes ou présumées telles et qui sert à empêcher
toute forme de contestation de l’ordre social. Le campus Condorcet est en lui-même un lieu de surveillance massive, de flicage et d’empêchement de tout mouvement social : caméras à tous les coins, balises, barrières, douves renforcées de barbelés et de buissons épineux (vraiment ?!), vigiles avec chiens, badges limitant l’accès à la plupart des espaces, etc.
Ce campus, dans lequel le bâtiment de l’EHESS s’inscrit « harmonieusement », ne comporte aucun espace permettant la sociabilité étudiante, interdit toute forme d’affichage, et n’offre même pas de lieu de travail et d’étude adéquat : tous les objectifs d’une université sont empêchés par ce projet urbanistique et politique. Ce lieu n’est non seulement pas pensé pour les étudiant·es, mais il est pensé contre toute forme d’échange, de rassemblement et de mobilisation étudiante. Les équipements de l’EHESS ne sont pas accessibles à la masse des étudiant·es et en cela ne sont en rien un bien commun (les étudiant·es se font par exemple systématiquement refouler des » tisaneries » et salles de travail quand ils/elles tentent d’y accéder). Au-delà des équipements et des espaces, l’EHESS n’a toujours pas d’assistant·e social·e ce qui, en plus d’être tout simplement illégal, met en danger matériellement les étudiant·es (attribution des aides sociales et financières, etc.). Et où était cette fameuse cellule de soutien psychologique que propose aujourd’hui la présidence pour les personnes ayant momentanément perdu un bureau quand, pendant le covid, des étudiant·es étaient dans une profonde détresse psychologique et économique ? La présidence a-t-elle mesuré la violence psychologique de l’isolement imposé par nos conditions d’études, tout particulièrement sur ce campus ?
Toutes ces raisons nous ont poussé·es et nous poussent encore aujourd’hui à la mobilisation et à la
lutte.
Dans les dix minutes suivant le vote de l’occupation en assemblée générale (environ 150 étudiant·es présent·es, dont beaucoup sont membres de l’EHESS), les présidences ont fait intervenir la police, ont mis en place des vigiles pour entourer le bâtiment et ont fermé les barrières et les portes électroniquement. Cette occupation se voulait ouverte et rejoignable par toustes celles et ceux qui souhaitaient s’engager dans ce mouvement. Les occupant·es voulaient se réapproprier ce lieu sans vie pour en faire un espace de débats et d’organisation politique. Cependant, l’encerclement du campus par les vigiles et leu rs chiens s’est resserré peu à peu, jusqu’au soir du vendredi 22 avril 2022 où une des personnes qui souhaitaient nous rejoindre s’est fait mordre à la jambe par un chien débarrassé de sa muselière (cf. photo en pièce jointe). Malgré cette répression et alors que la présidence réduit cette occupation aux dégradations commises, ce bâtiment n’a sans doute jamais autant été un lieu d’échanges politiques et de partages que lors de ces trois jours d’occupation !
Beaucoup d’entre nous ont fait davantage de rencontres à cette occasion que durant toutes leurs années d’études à l’EHESS (en particulier après les deux années de fermeture de l’établissement liées à la gestion du COVID). Alors que la presse et la présidence semblent en douter, nous tenons à préciser que nous condamnons de manière absolue tout message à caractère oppressif, et notamment les deux tags antisémites qui ont été portés à notre connaissance. L’occupation est antifasciste et condamne fermement tout acte antisémite. Nous avons effacé les symboles haineux que nous avons eu le malheur de trouver sur nos murs, et aurions effacé ceux-ci si nous les avions vus. Oui le fascisme monte, nous le combattons.
Nous dénonçons un rapport purement théorique, esthétique et moralisateur à la lutte, monnaie courante à l’université et tout particulièrement à l’EHESS. Actions et réflexions politiques s’articulent concrètement au cœur des AG et des occupations. Nous dénonçons la tentative de décrédibilisation et de dépolitisation dont ce mouvement est la cible. Nous savons que nous serons toujours perdant·es dans la guerre de l’information, dans la mesure où les étudiant·es et travailleureuses qui nous ont rejoint dans cette lutte ne peuvent en témoigner du fait des risques de répression. Nous souhaitons d’ailleurs soutenir les 40 (pour l’instant !) camarades de
l’occupation de la Sorbonne convoqué·es par les Renseignements Généraux, et appelons à les soutenir dans les semaines qui viennent. Une mobilisation se construit à travers différents moyens d’action ; l’occupation en fait partie et requiert une organisation de la lutte au quotidien qui comporte son lot de contraintes mais ouvre surtout un champ des possibles.Dans le contexte de l’occupation, des revendications du mouvement non-exclusivement étudiant ont rencontré des demandes antérieures des étudiant·es de l’EHESS, presque complètement privé·es d’espaces politiques et de sociabilité. Pourtant, dans le passé l’EHESS se distinguait par son ouverture aux non-étudiant·es qui pouvaient facilement venir suivre des cours sans inscription préalable et en présentiel.
Nous revendiquons des universités et des bibliothèques de recherche ouvertes sans distinction entre étudiant·es et non étudiant·es. Nous exigeons la gratuité de l’université pour toutes et tous
et donc l’abolition des frais de scolarité différenciés. Nous exigeons l’inscription et la régularisation
des étudiant·es étranger·es sans distinction selon le pays d’origine.
Contre la privatisation et la sécurisation des campus qui vont de pair, nous exigeons le retrait des
caméras de surveillance, des barbelés, des services de sécurité sous-traités, des badgeuses et de
toute autre entrave à la liberté de circulation des personnes et des savoirs. Nous revendiquons des
espaces exclusivement d édiés aux étudiant·es pour qu’ils/elles puissent se rassembler, se
rencontrer, travailler et s’organiser entre elles et eux.
Nous revendiquons un campus ouvert sur les quartiers environnants sans ségrégation socio- spatiale
et qui ne serve pas d’avant-poste à la gentrification des quartiers populaires et racisés voulue par le
Grand Paris.
La lutte continue !
D’ancien·nes occupant·es de l’EHESS dont des étudiant·es de l’EHESS, de Paris 8, de Paris 7, de Paris
10, de Paris 4, de Paris 1, de Paris 6, de l’Inalco…